Résumé
Cibles d’immigration réduites: «Où est l’être humain dans l’équation?»
Par Jérôme Savary, La Voix de l’Est
7 novembre 2025 à 04h10|
Mis à jour le7 novembre 2025 à 08h25
Frey Guevara, directeur général de Solidarité ethnique régionale de la Yamaska (SERY) (Catherine Trudeau/Archives La Voix de l’Est)
Un nuage noir se profile au-dessus des personnes récemment immigrées au Québec. Pour certaines déjà installées ici, «ça va être très difficile de rester» avec les nouvelles balises en immigration du gouvernement, prédit un intervenant bien au fait de la situation.
Le ministre de l’Immigration du Québec a notamment annoncé, jeudi, qu’il plafonnera à compter de 2026 l’admission annuelle de résidents permanents à 45 000, qu’il abolira le Programme de l’expérience québécoise — voie rapide vers la résidence permanente — et qu’il réduira le nombre de résidents non permanents à 65 000 travailleurs étrangers temporaires, entre autres.
«Toutes ces personnes [à statut précaire] qui ne vont pas pouvoir renouveler leur permis d’étude, ou de travail, ça va être très difficile de rester au Québec», prédit Frey Guevara, directeur général de Solidarité ethnique régionale de la Yamaska (SERY), à Granby.
Ces cibles représentent tout de même une diminution importante considérant que le gouvernement prévoit accueillir environ 61 000 immigrants permanents en 2025, indique La Presse Canadienne (voir «À lire aussi»).
Le Canada renvoie du pays les proprios de Tartes et clafoutis
](Le Canada renvoie du pays les proprios de Tartes et clafoutis)
«On ne voit que les chiffres, mais où est l’être humain dans cette équation?» questionne-t-il.
«On parle de situations dramatiques pour des personnes qui sont déjà établies ici et qui contribuent à la société. Du jour au lendemain, leur futur tombe à l’eau.»
— Frey Guevara, DG de SERY
«Combien de cas il va y avoir, même à Granby?» se questionne M. Guevara évoquant l’exemple de l’expulsion des anciens propriétaires français de la pâtisserie Tartes et clafoutis, en janvier dernier, qui s’étaient vus refuser le renouvellement de leurs permis de travail.
M. Guevara rappelle que beaucoup de personnes immigrantes — aidées par leurs familles restées dans leurs pays d’origine — ont fait d’énormes sacrifices afin d’arriver au Québec.
«Imagine les gens qui ont décidé de vendre tout ce qu’ils avaient pour avoir les économies nécessaires et s’installer ici…» dit-il.
L’immigration a soutenu l’économie du Québec
Même s’il ne veut pas limiter l’immigration à une ressource économique, M. Guevara rappelle que, si l’économie du Québec est restée à flot ces dernières années, c’est en bonne partie grâce aux personnes immigrées.
Originaires du Mexique, Rigoberto, Israel, Antonio, Alexander et Manuel Luna viennent à la Ferme Onésime Pouliot depuis plusieurs années comme travailleurs agricoles saisonniers. Ils ne seront pas touchés par les nouvelles mesures, car le gouvernement a compris que «sans eux, on ne pourra pas manger», souligne Frey Guevara. (Jocelyn Riendeau/Archives Le Soleil)
«Ce sont elles, dit-il, qui ont permis à plein d’entreprises québécoises de pouvoir continuer à fonctionner et de conserver les emplois des Québécois encore en poste. Car ces entreprises manquaient de personnel.»
Selon le DG de SERY, on ne peut pas dire que ces femmes et ces hommes sont la cause de tous les problèmes, «que ça déborde partout à cause de l’immigration».
«C’est l’immigration qui a prêté main-forte à l’économie. On ne le dit pas, mais c’est la réalité.»
— Frey Guevarra
M. Guevara dit même recevoir chaque mois, dans les bureaux de SERY, une nouvelle entreprise cherchant à recruter de nouveaux employés.
«C’est aussi une stratégie de ces entreprises pour démontrer au gouvernement qu’elles ne réussissent pas à trouver des gens ayant le profil recherché, explique-t-il. Ensuite, elles vont à l’international pour recruter.»
À l’échelle nationale, l’annonce des nouvelles cibles gouvernementales n’a pas tardé à faire réagir.
La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) ainsi que le Conseil du patronat du Québec (CPQ) ont tour à tour dénoncé des cibles trop peu élevées.
«Avec 123 000 postes vacants et un million de départs à la retraite prévus d’ici 2033, les besoins des entreprises sont clairs: le Québec aura besoin de 106 000 nouveaux travailleurs issus de l’immigration pour les quatre prochaines années», indique notamment la FCCQ dans son communiqué, jeudi midi.
«Quel sera l’impact économique que nous allons subir? demande M. Guevara. C’est la grande question qu’on va devoir se poser.»
«Des gens qui contribuent»
Certes, le DG de SERY «peu[t] comprendre qu’il faut réviser les seuils d’immigration».
«Mais qu’est-ce qui se passe avec les gens qui sont déjà parmi nous, déjà installés, qui sont en train de contribuer avec leurs impôts, leur travail, qui sont propriétaires, qui ont monté des entreprises, ouvert des commerces?» demande-t-il.
Les 18 étudiantes de la deuxième cohorte de la formation AEC Intégration à la profession infirmière du Québec en compagnie des enseignantes, au cégep de Saint-Félicien (mars dernier) (Cégep de Saint-Félicien)
Même chose pour les étudiants étrangers, dont le nombre a augmenté de façon considérable au fil des ans, souligne-t-il: «Ce sont autant de gens qui vont éventuellement pouvoir intégrer le marché de l’emploi, car il nous manque des étudiants au Québec.»
Sans oublier que «les étudiants étrangers sont très payants pour nos institutions d’enseignement», constate M. Guevara.
Ces derniers ont dû faire des sacrifices importants pour pouvoir payer les frais de scolarité, dit-il.
Le cégep de Granby facture, par exemple, les étudiants internationaux entre 7354 $ et 11 398 $ par session (!), selon le programme choisi. Comparativement à 292,55 $ par session pour les Québécois.
L’accueil des réfugiés, une obligation légale
Le directeur de l’organisme accompagnant les personnes immigrantes souligne que «demander l’asile, c’est un droit international, ce n’est pas un processus illégal».
Les «réfugiés pris en charge par l’État» voient aussi leur nombre revu à la baisse par les nouvelles cibles, d’après M. Guevara.
«Plusieurs disent que les demandeurs d’asile sont des illégaux, mais non! Ils respectent la loi canadienne pour pouvoir accéder à la demande d’asile.»
— Frey Guevarra
Souvenons-nous qu’«en signant la Convention sur les réfugiés [en 1969], le Canada a reconnu ses obligations envers les réfugiés. Plus qu’un geste humanitaire, protéger les réfugiés constitue une obligation légale. Les réfugiés ont des droits, comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt charnière Singh en 1985, qui conclut que la Charte canadienne des droits et libertés garantit aux demandeurs d’asile des droits fondamentaux», peut-on lire sur le site du Conseil canadien pour les réfugiés.
«L’impact des nouvelles cibles du gouvernement va être sévère pour ces êtres humains, surtout dans le contexte géopolitique actuel», tranche M. Guevara.
L’IMMIGRATION RÉCENTE À GRANBY
Parmi les 1339 personnes accueillies en 2024 par SERY à Granby, les travailleurs étrangers temporaires se taillent la part du lion avec 653 nouveaux dossiers. Pour rappel, c’était déjà la clientèle la plus représentée en 2023. Suivent les demandeurs d’asile (251 personnes reçues) – il n’y en avait que 12 en 2016! -, les travailleurs qualifiés (119) et les Réfugiés pris en charge par l’État (103).
La Tunisie, le Cameroun, la Colombie et le Mexique étaient les plus représentés quant au nombre de personnes immigrées en 2024, à Granby.