Résumé
Grands projets Pourquoi le « vert » disparaît-il souvent ?
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
La construction du nouvel échangeur Turcot a été achevée à la fin de l’année 2020.
Entre la présentation d’un grand projet d’aménagement et l’aboutissement des travaux, un « détail » saute souvent aux yeux : la disparition, partielle ou totale, des espaces de verdure. Dernier exemple en date, les images avant/après du projet Royalmount.
Publié à 1h01 Mis à jour à 5h00
Chloé Bourquin La Presse
Des arbres à perte de vue, des bâtiments aux balcons débordant de verdure, des routes plus vertes que grises où circulent plus de piétons que de voitures… Les promoteurs de grands projets mettent souvent l’accent sur leurs aspects « verts » pour les présenter sous leur meilleur jour.
IMAGE TIRÉE DU SITE DE RÉALISONS MONTRÉAL
Projet de l’échangeur Turcot tel que présenté à l’origine
Mais ces stratégies vont parfois au-delà d’un simple embellissement de la réalité.
« Dire que l’on va planter des arbres, utiliser des représentations trompeuses, des couleurs vertes, des images naturelles… Ce sont des techniques classiques d’écoblanchiment », note Julien O. Beaulieu, avocat et chargé de cours en droit de la responsabilité sociale des entreprises à l’Université de Sherbrooke.
De nombreux projets utilisent ces méthodes de marketing vert. « C’est vraiment du 50 shades of greenwashing, plaisante Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre.
ILLUSTRATION FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DES TRANSPORTS
À l’origine, le projet de l’échangeur Turcot était assorti d’une dalle-parc.
Un exemple est resté gravé dans les mémoires : celui du nouvel échangeur Turcot, achevé fin 2020. Ses plans intégraient initialement une dalle-parc, véritable oasis de verdure, piétonne et cyclable, qui devait enjamber les voies d’autoroute pour relier le parc de la falaise Saint-Jacques à l’arrondissement du Sud-Ouest. Elle n’a finalement jamais vu le jour, même si des regroupements de citoyens tentent encore régulièrement de remettre le projet sur la table.
« Quiconque connaissait un peu l’aménagement paysager comprenait qu’on nous en mettait plein la vue, mais que c’était de la mauvaise foi épouvantable », lance Gérard Beaudet, urbaniste émérite et professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal.
Plus vert, plus acceptable
Si les promoteurs mettent l’accent sur la verdure dans la présentation de leurs projets, c’est avant tout pour les rendre plus attrayants.
« Les gens apprécient ces aspects “verts”. Outre l’esthétisme, il y a aussi les aspects environnementaux avec la captation du carbone, la biodiversité, l’écoulement de l’eau. C’est aussi bon pour la santé mentale et physique. Et ça augmente la valeur économique du projet », énumère Christian Messier, professeur d’aménagement forestier et de biodiversité à l’Université du Québec en Outaouais.
Mais parfois, cette stratégie marketing peut glisser vers la malhonnêteté, notent les experts.
Certains promoteurs comprennent très bien la nécessité de s’adapter aux changements climatiques, et c’est pour cela qu’ils mettent de la verdure ; mais d’autres utilisent simplement cette représentation pour l’esthétisme et savent, dès le départ, que ces arbres-là ne verront jamais le jour.
Gérard Beaudet, de l’Université de Montréal
C’est particulièrement vrai pour de grands aménagements discutables d’un point de vue environnemental. « On prend des projets controversés et on y met un vernis vert pour faciliter l’acceptabilité sociale », explique Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville.
Le coût de l’environnement
Dans les cas « honnêtes », pourquoi cette verdure ne voit-elle pas le jour ?
« Dans les plans finaux, il est parfois impossible de réaliser les intentions de départ », souligne Catherine Fernet, présidente de l’Association des architectes paysagistes du Québec (AAPQ). Les raisons sont multiples : manque d’espace, contraintes techniques ou de budget…
Mais surtout, le « vert » passe souvent après le reste. « On a tendance à reléguer l’aménagement paysager en bout de parcours dans la construction d’un projet », explique Gérard Beaudet.
IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO PUBLIÉE SUR LA PAGE FACEBOOK DE CARBONLEO
À l’étape de « projet », le Royalmount devait comporter des toits végétalisés.
C’est notamment le cas du Royalmount. Lorsqu’il a été présenté, le projet était censé comporter des toits végétalisés ; mais début septembre, il a finalement été livré sans eux.
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
Le centre commercial Royalmount, dépouillé de ses toits végétalisés
Par courriel, le promoteur Carbonleo a expliqué que « les toitures végétalisées et les jardins verticaux feront leur apparition lors des prochaines phases, une fois la composante résidentielle du projet lancée ».
« Mais bien souvent, on se retrouve à court d’argent en fin de projet », soupire Gérard Beaudet.
De la verdure… dans 30 ans
Parfois, les arbres sont bel et bien là, sauf qu’on ne les voit pas. Ou du moins, pas encore.
Les arbres sont petits quand on les plante, car c’est beaucoup moins cher que de planter des arbres matures. Donc les représentations montrent ce que le projet donnera dans 20 ou 30 ans.
Christian Messier, de l’Université du Québec en Outaouais
Ouverte en juillet 2023, la station Panama du REM illustre bien ce cas de figure. Les arbres ont bel et bien été plantés, conformément aux plans initiaux, mais ils sont encore petits.
IMAGE TIRÉE DU SITE DU REM
Illustration de la station Panama du REM vue des airs
« Bien souvent, lorsque le projet est achevé, il n’y a aucun effort qui est fait pour entretenir ces arbres par la suite », déplore Christian Messier.
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
Vue aérienne de la station Panama du REM
Renverser la tendance ?
Même si embellir un projet pour le rendre plus attrayant est une méthode « vieille comme l’architecture », selon Christian Savard, ce dernier parle d’une tendance de plus en plus marquée.
De nos jours, il y a une plus grande sensibilité environnementale. C’est donc plus tentant de tricher avec du verdissement.
Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville
« L’environnement prend de plus en plus de place dans la présentation des projets, et c’est une bonne chose. Mais il faut maintenant s’assurer que ce qui est présenté se concrétise, et que les concepts présentés aient un réel bénéfice environnemental », martèle Marc-André Viau.
Pour Catherine Fernet, la solution réside en partie entre les mains des pouvoirs publics. « Il faudrait que les règlements soient modifiés, pour obliger toute forme de construction à avoir une certaine superficie végétale », avance-t-elle.
Verdir avant le reste
Une autre option serait d’intégrer un architecte paysagiste dès le début du projet, car celui-ci n’a « aucun intérêt à exagérer la quantité de végétation », relève Catherine Fernet.
« C’est sa réputation qui est en jeu », ajoute-t-elle.
Sauf que parfois, on lui demande de réaliser des images d’un projet, sans qu’il ait tous les éléments en main pour qu’elles soient réalistes.
« Si on veut vraiment valoriser le développement durable dans un projet, on doit identifier dès le départ les contraintes techniques, d’espace et de budget, énumère-t-elle. C’est seulement en travaillant en équipe que ça peut fonctionner. »
La bonne nouvelle, selon Véronique Fournier, directrice générale du Centre d’écologie urbaine, est que ces dérives sont de plus en plus montrées du doigt. Et passent donc moins facilement.
« L’opinion publique est beaucoup plus critique, sensible et exigeante sur la qualité des projets, observe-t-elle. Aujourd’hui, c’est plus difficile d’en amener un avec une forte tendance à l’écoblanchiment. »
Résumé
En mode solution – Lutte contre les changements climatiques L’État québécois doit développer le « réflexe végétal »
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE
Le toit vert de la station Crémazie du métro de Montréal
Au Québec, les effets des changements climatiques sont désormais tangibles. L’été dernier, les canicules et les inondations causées par les vestiges de l’ouragan Debby ont entraîné des coûts élevés, non seulement pour réparer les infrastructures, mais aussi pour gérer les sinistres1.
Publié le 20 septembre
Luce Daigneault Directrice générale, Québec Vert
Les citoyens paient de plus en plus cher le retard accumulé en matière de végétalisation, notamment à travers des dépenses accrues pour la climatisation et les frais liés aux dommages causés par les inondations. Cette situation souligne l’urgence d’adopter des solutions efficaces et économiquement viables. La végétalisation se présente comme un levier essentiel pour atténuer ces problèmes : elle aide à réduire les îlots de chaleur, améliore la gestion des eaux pluviales, renforce la biodiversité et contribue à la santé publique.
Les infrastructures végétalisées offrent des solutions simples, efficaces et peu coûteuses pour bâtir des communautés résilientes.
En plus d’embellir nos villes, les arbres, arbustes et autres plantes jouent un rôle crucial dans la régulation des températures, la gestion des eaux pluviales et l’amélioration de la qualité de l’air.
Ils aident également à prévenir l’érosion des berges, favorisent la biodiversité et offrent des espaces propices à la détente. La végétalisation est ainsi un outil puissant générant de multiples bénéfices.
Le Québec se distingue par son expertise en infrastructures végétalisées, soutenue par des recherches universitaires locales. Le secteur de l’horticulture ornementale, environnementale et nourricière regroupe plus de 40 000 professionnels prêts à mettre en œuvre des initiatives ambitieuses.
Pour une vision concertée
ILLUSTRATION FOURNIE PAR L’ARRONDISSEMENT DE VERDUN
Un parc-éponge verra le jour dans l’arrondissement de Verdun.
Les inaugurations de parcs-éponges à Montréal font les manchettes, mais saviez-vous qu’on recense désormais plus de 1200 infrastructures végétalisées au Québec, de Gatineau à Gaspé ? Une véritable masse critique de citoyens et d’élus municipaux se mobilise pour ces projets. Toutefois, il manque encore une vision concertée de l’État en matière de végétalisation, pour l’intégrer systématiquement dans les politiques, plans, programmes et plans d’action. Les initiatives sont souvent isolées et tributaires de la volonté politique locale.
Nos infrastructures vieillissantes nécessitent des rénovations. Cependant, il serait une grave erreur de les reconstruire à l’identique. Nous devons intégrer des éléments de végétalisation dans ces projets pour tirer parti des nombreux bénéfices offerts par ces infrastructures vertes.
À la lumière des défis qui nous attendent, le Québec doit comprendre que la contribution des végétaux va bien au-delà de leur fonction esthétique. Ils sont multifonctionnels et leur adoption nécessite une approche coordonnée et cohérente.
Je suis convaincue que le Québec peut et doit faire mieux en matière de végétalisation. Les acteurs du milieu de l’horticulture sont prêts à collaborer pour bâtir des communautés plus vertes et plus résilientes. Au Québec, nous avons les connaissances et la capacité de produire, concevoir et mettre en place ces projets. Pensons à inclure dans tous les forums le point de vue et l’expertise des producteurs de végétaux québécois, des architectes paysagistes, des entreprises d’aménagement et d’entretien paysager et les autres acteurs du secteur horticole.
L’État québécois doit donner l’exemple
Les infrastructures publiques, y compris les écoles, devraient être systématiquement végétalisées pour améliorer l’environnement et le bien-être des citoyens. Les routes provinciales pourraient intégrer davantage de bandes médianes et d’accotements végétalisés. Les édifices gouvernementaux pourraient bénéficier de toits verts et de murs végétaux. Les parcs, stations de transport, centres de santé et d’éducation, ainsi que les ponts et viaducs, devraient être enrichis par des plantations adaptées. Les installations sportives et les cours d’école devraient inclure des jardins scolaires et des espaces de détente.
Pour concrétiser ces objectifs, nous recommandons notamment au gouvernement du Québec de :
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Désigner un ministre responsable de coordonner les efforts de végétalisation à travers la province et de piloter un comité interministériel.
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Réserver, pour chaque projet d’infrastructure publique, une somme représentant un minimum de 2 % des investissements totaux pour des infrastructures végétalisées.
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Déployer une campagne de sensibilisation nationale pour informer la société des bienfaits de la végétalisation et mobiliser les citoyens et les décideurs.
Ces actions maximiseront l’impact de la végétalisation au Québec et aideront à construire des communautés plus résilientes.
Les élus québécois sont de retour à l’Assemblée nationale. Faisons en sorte que la végétalisation de nos communautés devienne un projet de société !
Note : Pour guider les décideurs, Québec Vert a publié un livre blanc présentant 12 recommandations pour libérer le potentiel de la végétalisation au Québec2.
1. Lisez l’éditorial « Pour en finir avec les inondations à répétition » 2. Consultez le livre blanc Végétalisation – Miser sur l’intelligence naturelle pour des communautés saines et résilientes