Résumé
Des chiffres comme un « drapeau rouge »
PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE
Une réforme du régime d’autorisation environnementale soulève de vives inquiétudes au Québec. Depuis le 1er janvier 2021, le ministère de l’Environnement a accepté plus de 12 000 projets : 40 % d’entre eux ont obtenu le feu vert en vertu du processus d’autorisation ayant trait aux activités présentant un risque environnemental modéré, mais 60 % n’ont pas été évalués par des fonctionnaires du Ministère, révèle une analyse réalisée par La Presse.
Publié à 5h00
Éric-Pierre Champagne La Presse
Le ministère de l’Environnement a « accepté » la majorité des projets après le dépôt d’une simple déclaration de conformité, une procédure prévue pour les activités présentant un risque environnemental faible.
On parle de projets près de milieux humides, d’autres dans l’habitat essentiel d’une espèce menacée ou encore des hausses de production de phosphore.
« Cette proportion [60 %] met en lumière le fait qu’il devient essentiel de dresser un bilan du mécanisme de déclarations de conformité et d’apporter les ajustements nécessaires, avance Marc Bishai, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). Et il y a de très bonnes chances qu’il y ait plusieurs ajustements nécessaires à apporter dès maintenant. »
Découper pour contourner
Avec les nouvelles règles, les promoteurs et monsieur, madame Tout-le-monde peuvent maintenant découper leurs projets pour contourner la loi et ainsi accélérer le processus. Au lieu de soumettre une demande d’autorisation pour l’ensemble d’un projet, un promoteur peut produire plusieurs déclarations distinctes.
Une déclaration de conformité ou une autorisation ministérielle ?
Le cadre réglementaire pour l’évaluation des projets en fonction de leur risque pour l’environnement se décline en quatre catégories.
- Les activités présentant un risque environnemental négligeable sont exemptées de toute autorisation.
- Celles ayant un risque faible doivent passer par une déclaration de conformité.
- Une demande d’autorisation ministérielle doit être déposée pour tous les travaux ou projets présentant un risque modéré.
- Les activités présentant un risque environnemental élevé doivent être soumises à une évaluation environnementale, par l’entremise du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).
Ces demandes concernent des travaux qui présentent, individuellement, un faible risque pour l’environnement. Mais lorsque ces travaux s’additionnent, le portrait change, préviennent des groupes environnementaux.
C’est ce qui s’est produit en 2021 quand la Ville de Longueuil a déposé trois déclarations pour des travaux d’aqueduc en vue de prolonger un boulevard dans l’habitat essentiel d’une espèce menacée (voir autre texte).
PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE
Marc Bishai, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement
Quand on divise l’analyse des projets et qu’on étudie les différentes composantes en silo, ça fait aussi perdre de vue l’ensemble des impacts globaux des projets. On néglige les impacts cumulatifs.
Marc Bishai, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement
« L’écosystème des demandeurs est en train de s’adapter, lance Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs, section Québec (SNAP Québec). Il y a un drapeau rouge qu’il faut lever avec ces chiffres-là. »
Plus rapide
Devant la lourdeur administrative, Chantal Savaria, présidente de Savaria Experts Conseils, une firme de consultants, est catégorique. « Si on peut, on va éviter de travailler avec le Ministère, ça c’est clair. Si on peut l’éviter de façon légale, en faisant autre chose, c’est sûr qu’on va le faire. Qui veut prendre un an de son temps alors qu’il y a des projets qui pourraient se régler en trois mois ? »
PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE
Jean-François Girard, avocat spécialisé en droit de l’environnement
Avocat spécialisé en droit de l’environnement, Jean-François Girard confirme cette tendance. « Les avocats dans les grands cabinets sont passés maîtres dans l’art de découper la loi pour éviter de passer par des autorisations ministérielles. »
Rappelons que Québec a modifié son régime d’autorisation en 2020, permettant aux promoteurs d’éviter le processus d’autorisation ministérielle, jugé complexe et trop long, pour des projets à faible impact. Le règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement (REAFIE), adopté le 31 décembre 2020, a introduit la déclaration de conformité.
Les promoteurs n’ont qu’à remplir un simple formulaire de quelques pages décrivant les grandes lignes du projet. Les travaux peuvent débuter 30 jours après le dépôt de la déclaration de conformité. Dès 2021, cette nouvelle voie rapide s’est attiré la faveur des demandeurs, qui en ont déposé plus de 2000.
Par courriel, le ministère de l’Environnement précise qu’une révision du nouveau régime d’autorisation est prévue après cinq ans, et que le Ministère « a donc amorcé un exercice à cet effet récemment ».
Mais Me Bishai insiste : cette évaluation ne doit pas être réalisée en vase clos. « La participation du public est un élément clé pour la réussite d’une réforme de ce type. »
Un plus pour l’environnement ?
« Il y a clairement des situations où des déclarations de conformité devraient plutôt être des autorisations ministérielles », insiste Marc Bishai.
La réforme réglementaire avait pour objectif de répondre aux plaintes des demandeurs concernant des délais d’autorisation beaucoup trop longs, rappelle l’avocat Jean-François Girard. « Je ne suis pas contre l’idée. Pour avoir été parfois de l’autre côté, c’est vraiment désolant d’inefficacité [au Ministère]. »
L’enjeu ne peut toutefois être réduit à un simple exercice comptable, souligne Me Girard, qui est aussi biologiste. Des activités censées avoir un faible impact peuvent en réalité avoir des conséquences importantes, précise-t-il. « L’environnement, ce sont des équilibres dynamiques. Avec les effets des changements climatiques, les modifications aux équilibres dynamiques sont régulières et rapides. »
« Maintenant, la question, c’est de savoir si l’environnement s’en trouve mieux protégé [avec cette réforme], moins protégé ou protégé autant si on compare avec ce qui existait avant. Je pense qu’on peut se poser la question », avance Jean-François Girard.
Avec la collaboration de Jean-Hugues Roy, La Presse
Des déclarations jugées conformes
Pour l’année 2022-2023, 95 % des déclarations de conformité ont été jugées conformes, indique le ministère de l’Environnement dans son rapport annuel. Il s’agit d’une hausse de 3 % par rapport à l’année précédente. ll n’a pas été possible cependant de connaître la grille d’analyse utilisée par le Ministère. Selon des données transmises à La Presse par le Syndicat de la fonction publique du Québec, le Ministère a réalisé 494 inspections de conformité sur le terrain. Ce bilan inclut les inspections pour les autorisations ministérielles et les déclarations de conformité.
Résumé
Trois cas qui soulèvent des questions
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE
Travaux de prolongement du boulevard Béliveau, à Longueuil, en 2021
La Presse a recensé trois cas dans lesquels la réforme du régime d’autorisation peut poser problème, selon des experts et des organisations environnementales.
Publié à 5h00
Éric-Pierre Champagne La Presse
Espèces en péril
En avril 2021, la Ville de Longueuil a déposé trois déclarations de conformité pour l’établissement et l’extension d’un système d’aqueduc et d’égout pour prolonger le boulevard Béliveau dans l’arrondissement de Saint-Hubert. Ce type de déclaration représente 25 % des 7400 dossiers transmis au ministère de l’Environnement depuis 2021.
La Ville avait déjà déposé une demande d’autorisation ministérielle un an plus tôt, mais s’inquiétait d’un éventuel refus puisque les travaux empiétaient dans l’habitat essentiel d’une espèce menacée : la rainette faux-grillon de l’Ouest.
Selon des documents juridiques, le Ministère a indiqué à la Ville qu’elle pourrait retirer sa demande d’autorisation et procéder plutôt par déclaration de conformité. Dans une déclaration sous serment produite dans le cadre d’un recours juridique contre Longueuil, un fonctionnaire municipal, Thierry Dupasquier, a affirmé que « les représentants du [ministère de l’Environnement] ont proposé à la Ville de contrer ce retard en déposant une déclaration de conformité de façon à éviter l’approbation du MFFP » (ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs).
Fait à signaler, le MFFP avait manifesté des craintes à l’égard du projet, selon le même document.
Au bout du compte, en novembre 2021, le gouvernement fédéral a annoncé un décret d’urgence pour stopper les travaux qui menaçaient la rainette faux-grillon.
PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE
Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs, section Québec (SNAP Québec)
« Le formulaire de déclaration de conformité ne comporte aucune question sur l’éventuelle présence d’espèces à statut précaire, affirme Alain Branchaud, directeur général de la SNAP Québec. Quand il y a présence d’espèces en péril, ça devrait être un déclencheur automatique, ça devrait automatiquement passer par une demande d’autorisation. »
Milieux humides
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE
La présence de milieux humides « est très sous-estimée », selon une biologiste.
S’il faut faire une demande d’autorisation pour toute intervention dans un milieu humide (sauf certaines exceptions), il est possible de déposer une simple déclaration de conformité pour obtenir l’autorisation d’effectuer des travaux à proximité d’un milieu humide, en respectant certaines distances.
De l’avis de Marc Bishai, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), c’est « un problème qu’il faut colmater les plus rapidement possible », parce que l’intervention réalisée sans autorisation ministérielle pourrait, par exemple, « assécher le milieu humide ».
« Les milieux urbains qui s’étendent dans des milieux naturels, ça ne se peut pas qu’il n’y ait pas de milieux humides. C’est ça qui reste ! », lance la biologiste Kim Marineau, présidente de l’entreprise Biodiversité Conseil.
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE
La biologiste Kim Marineau, présidente de l’entreprise Biodiversité Conseil
Selon elle, la présence de milieux humides « est très sous-estimée », surtout dans la vallée du Saint-Laurent. « Les données officielles ne sont pas suffisamment précises », affirme-t-elle.
Production de phosphore
PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE
Il est possible pour un agriculteur d’augmenter sa production de phosphore avec une déclaration de conformité.
Il est possible pour un agriculteur d’augmenter sa production de phosphore jusqu’à 4100 kg au moyen d’une simple déclaration de conformité. Des dizaines de demandes du genre ont été déposées depuis 2021, dont une vingtaine en Montérégie.
L’agronome Louis Robert rappelle qu’il existe deux possibilités pour le phosphore de s’infiltrer dans l’environnement : par l’alimentation animale ou encore les engrais minéraux destinés aux sols. Le phosphore est à l’origine de problèmes d’algues bleues et vertes dans plusieurs plans d’eau au Québec.
PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE
L’agronome Louis Robert
M. Robert déplore que le ministère de l’Environnement autorise des augmentations de cheptel sans trop se poser de questions, alors qu’on a déjà trop de phosphore au Québec, particulièrement pour les zones d’activités agricoles intenses comme la Montérégie.
« D’un côté, avec le bras gauche, le ministère de l’Environnement subventionne des organismes de bassin versant pour réduire les concentrations de phosphore dans les cours d’eau et de l’autre côté, avec son bras droit, il autorise des augmentations de cheptel. C’est incohérent », ajoute l’agronome, qui invite Québec à déclarer un moratoire sur les hausses de production de phosphore.
« On donne priorité au développement économique avec des limites [de phosphore] juste en apparence pour laisser croire qu’on s’occupe du problème. Mais on ne s’en occupe pas du tout », affirme Louis Robert.