Résumé
La mouche soldat noire est arrivée sans prévenir dans la vie de Mariève Dallaire-Lamontagne. C’est dans le cadre d’un stage universitaire, sous la supervision de la professeure adjointe Marie-Hélène Deschamps, qu’elle a fait sa rencontre.
Ce ne fut pas un coup de foudre, se remémore-t-elle. Ça m’a levé le cœur, j’aimais pas ça.
Mais elle a rapidement été charmée par les possibilités qu’offrent les mouches soldat noires pour la valorisation des déchets. Maintenant, je les trouve adorables et j’aime beaucoup travailler avec cet insecte-là, lance-t-elle, tout sourire.
Mariève Dallaire-Lamontagne est candidate au doctorat en sciences animales à l’Université Laval.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
La mouche soldat noire est très intéressante parce qu’elle est très versatile dans un contexte d’économie circulaire. Elle est très vorace, elle est capable de réduire vraiment très rapidement des substrats alimentaires, fait valoir la professeure Deschamps.
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Cet insecte ne pique pas, ne mord pas et n’est pas vecteur de maladies. Mais c’est plus particulièrement son stade larvaire qui rend la mouche si prometteuse.
La larve mange des déchets organiques – d’origine végétale ou animale – et les convertit en biomasse. Elle gobe tellement de nourriture en peu de temps qu’elle gagne de 10 000 fois son poids en 10 jours.
C’est un peu comme si on passait d’un rat à un éléphant adulte en l’espace de moins de deux semaines, illustre Mariève Dallaire-Lamontagne.
Les larves de mouches soldat noires ont la capacité de convertir des substrats de piètre qualité, comme des matières en putréfaction, en biomasse protéinée.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Nourrir le bétail
Sa fascination pour la mouche l’a poussée à en faire le sujet d’une thèse de doctorat. Elle s’est demandé s’il était possible d’utiliser les larves de mouches soldat noires pour en faire de la nourriture pour animaux et ainsi valoriser des résidus d’élevage.
Pour creuser la question, elle s’est associée au Couvoir Scott, une entreprise de la Beauce qui produit des poussins pour les aviculteurs. Quelque 35 millions d’œufs y sont incubés annuellement.
Le Couvoir Scott génère des centaines de tonnes de déchets organiques, comme des embryons non développés, des coquilles d’œufs et des poussins morts. La gestion de ces rebuts représente des dépenses importantes et leur déplacement vers des sites de gestion des matières résiduelles engendre des gaz à effet de serre.
Photo : Radio-Canada / Vincent Archambault Cantin
Photo : Radio-Canada / Vincent Archambault Cantin
Photo : Radio-Canada / Vincent Archambault Cantin
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
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Des mouches soldat noires pondent leurs oeufs sur de petites plaquettes.
Photo : Radio-Canada / Vincent Archambault Cantin
Une mouche soldat noire.
Photo : Radio-Canada / Vincent Archambault Cantin
Le projet de doctorat de Mariève Dallaire-Lamontagne est rapidement devenu une jeune pousse.
Avec Jérémy Lavoie, directeur des fermes du Couvoir, la candidate au doctorat a démarré l’entreprise Inscott. Celle-ci transforme des résidus de couvoirs en pâte utilisée pour nourrir des larves de mouches soldat noires.
Notre idée de départ, c’était de faire de l’économie circulaire directement à la ferme. De produire des insectes sur le site des éleveurs, que ce soit des couvoiriers ou d’autres sortes d’entreprises du milieu agroalimentaire, pour générer des larves qui vont servir d’ingrédients pour nourrir les animaux d’élevage, explique Mariève Dallaire-Lamontagne.
Les larves sont ensuite séchées et servies à de jeunes coqs du Couvoir Scott.
Il n’y a à peu près aucun producteur qui va donner des larves à ses animaux. Ici, on le fait dans un contexte de recherche. Étant donné qu’on en produit sur le site, on essaie différentes recettes pour voir un peu leur intérêt, explique Jérémy Lavoie.
Jérémy Lavoie nourrit de jeunes coqs avec des larves de mouches soldat noires séchées.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Les petits poulets semblent se régaler, mais la jeune entreprise a rapidement été freinée dans son développement, puisque l’Agence canadienne d’inspection des aliments ne permet pas de donner à des animaux d’élevage des larves nourries avec des résidus carnés, soit des restes de viande, d’os, de poissons…
Au Canada, la nourriture destinée à l’alimentation du bétail doit être sans danger pour les animaux qui la consomment, de même que pour les humains qui s’alimentent des produits issus de ces animaux. C’est au producteur d’en faire la démonstration dans le cadre d’une demande d’enregistrement.
Des démarches dispendieuses qui ne sont pas à la portée d’Inscott pour le moment. Surtout que ses dirigeants savent qu’une autre entreprise a tenté, sans succès, d’obtenir l’autorisation de vendre ses larves pour l’alimentation du bétail.
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Cette entreprise, c’est Entosystem. Son usine de 9000 mètres carrés installée à Drummondville a la capacité de traiter 250 tonnes de matières organiques par jour, explique son président et cofondateur, Cédric Provost.
250 tonnes, ça veut dire près de 60 éléphants qui vont rentrer [dans l’usine] et qui vont être mangés par les insectes chaque jour. Donc, c’est 250 tonnes qu’on va dévier des sites d’enfouissement.
Une citation de Cédric Provost, cofondateur d’Entosystem
Les déchets sont d’abord séparés mécaniquement pour en extraire les emballages avant d’être broyés.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Chez Entosystem, les larves ne se nourrissent pas de résidus animaux, mais plutôt des invendus d’épicerie, surtout des fruits et légumes.
Tout le processus a été automatisé pour permettre de transformer une grande quantité de déchets.
Les résidus alimentaires sont ensuite transformés en une pâte dans laquelle on dépose des petites larves de mouches soldat noires, qui grossissent très rapidement.
Les larves sont ensuite séchées et vendues comme nourriture pour animaux.
Les déjections des larves et leurs restes de mue et d’alimentation, le frass, sont mis en marché comme fertilisant.
À pleine capacité, l’usine d’Entosystem devrait produire 5000 tonnes de larves séchées et 15 000 tonnes de fertilisant par année.
Une fois bien nourries, les larves peuvent être vendues séchées comme source de protéines (photo du haut) et les résidus de substrat sont commercialisés sous le nom « frass », un fertilisant (photo du bas).
Photo : Radio-Canada
Interdit au Canada
On n’a pas le droit d’utiliser nos larves dans l’alimentation du bétail au Canada, explique M. Provost. […] Pour l’instant, on a un très beau marché américain. C’est sûr qu’on aimerait vendre plus localement, donc il faut travailler avec la réglementation canadienne.
S’il fait face au même problème qu’Inscott, c’est notamment parce que les résidus d’épiceries contiennent parfois des restes de prêt-à-manger qui peuvent contenir de la viande.
Nous, on a tout fait la démonstration que c’était salubre pour l’alimentation animale, mais c’est là que ça accroche un peu avec le gouvernement, actuellement, explique le cofondateur d’Entosystem.
L’entreprise a déjà dépensé des milliers de dollars en analyses pour prouver l’innocuité de ces produits à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, souligne-t-il.
Cédric Provost et son équipe persévèrent afin d’obtenir l’enregistrement nécessaire pour vendre les larves d’Entosystem aux producteurs de volailles.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Malgré ce frein réglementaire, la mouche soldat noire a le vent dans les ailes. Entosystem a déjà amassé le financement nécessaire à la construction d’une nouvelle usine, qui permettrait de valoriser encore plus de déchets.
L’équipe d’Inscott aussi persévère, parce qu’elle croit profondément au potentiel de la mouche soldat noire dans le milieu agricole, dit-elle.
Avec l’écoulement des stocks mondiaux de poissons et les problématiques environnementales qui sont associées à ces sources de protéines là, il va falloir trouver des alternatives. Et je crois que la mouche soldat noire va faire partie de la solution et que la réglementation va devoir en tenir compte, assure Mariève Dallaire Lamontagne.

Un reportage de Marie Maude Pontbriand et Pier Gagné à ce sujet sera présenté à l’émission La semaine verte , diffusée sur ICI Télé le samedi à 17 h (18 h30 HA).