San Francisco veut se débarrasser de la fontaine d’Armand Vaillancourt
La Fontaine Vaillancourt, un enchevêtrement de tubes de béton qui crachait autrefois 120 000 litres d’eau par minute sur une place publique à San Francisco, a été affublée de nombreux noms.
Publié à 6 h 00
Carol Pogash The New York Times
Souvent, on la qualifie de laide.
Herb Caen, chroniqueur phare du San Francisco Chronicle au XXe siècle, trouvait que la fontaine ressemblait à une structure effondrée, lui donnant un 10 sur l’échelle de Richter. Dans le magazine San Francisco, le critique d’architecture lauréat du prix Pulitzer Allan Temko a failli manquer d’adjectifs lorsqu’il a pesté que la fontaine était « incroyablement laide, brutale, prétentieusement simpliste et littéralement insipide », faite de blocs de béton qui ressemblaient à des excréments « déposés par un chien de béton géant aux intestins carrés ».
On pourrait donc penser que la proposition de la Ville de remplacer la fontaine tant décriée par un aménagement paysager autochtone, des aires de pique-nique et d’autres commodités serait accueillie par des applaudissements.
Mais nous sommes à San Francisco, où chaque action engendre une réaction.
Selon ses partisans, détruire la Fontaine Vaillancourt reviendrait à effacer l’histoire et l’architecture moderne, et serait contraire à la réputation de bizarrerie de la ville. Bono a écrit un graffiti « Rock’n’Roll Stops the Traffic » (Le rock’n’roll arrête la circulation) sur la fontaine, achevée en 1971, lors d’un concert gratuit de U2 en 1987. Les marches et les rebords de la sculpture en ont fait une mecque du skateboard dans les années 1990.
« Elle est bizarre et inhabituelle, a déclaré Ted Barrow, skateur et historien de l’art. C’est un symbole de San Francisco. »
Pour une autoroute disparue
Joint par visioconférence de son studio à Montréal, Armand Vaillancourt, 96 ans, estime que son œuvre la plus célèbre appartient au peuple. « Je pense que les gens l’aiment, a-t-il dit. Elle a été négligée, mais elle est toujours vivante. »
Celui qui se qualifie d’« homme joyeux » continue de créer, mais il s’est dit « très blessé » par cette controverse.
Ses longs cheveux blancs lui donnent l’air d’un prophète lorsqu’il prévient : « Ce sera la honte de la Ville de San Francisco s’ils la démolissent. »
Brutaliste malgré elle
Des rapports récents commandés par la Ville ont établi que les systèmes mécaniques et électriques de la fontaine sont défaillants, qu’elle présente un risque en cas de séisme avec des matériaux dangereux, et qu’elle n’est pas conforme à l’Americans with Disabilities Act (loi sur les Américains handicapés).
La fontaine n’est techniquement pas irréparable, selon les rapports, mais il en coûterait 28 951 519 $.
« Quand l’eau y coulait, je trouvais ça vraiment cool », a affirmé Kat Anderson, présidente de la commission de sept membres de ce département. « Mais elle a été conçue pour être une fontaine, et ce n’est plus une fontaine. »
À la fin des années 1960, les responsables de la Ville ont organisé un concours de design pour la fontaine, remporté par Armand Vaillancourt, un célèbre sculpteur québécois. Au cours de ses 74 ans de carrière, il a créé des œuvres en métal, en bois et en béton qui se trouvent dans des musées et des espaces publics partout au Québec.
Bien que sa fontaine de San Francisco soit incluse dans L’atlas de l’architecture brutaliste, il a affirmé en entrevue qu’il « ne connaissait rien au brutalisme et à tout ça ».
Le sort de la Fontaine Vaillancourt soulève des questions sur l’art public impopulaire. « Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais il capture un moment de manière si distincte, et avec tant de verve », a déclaré John King, ancien critique d’architecture au Chronicle et auteur.
Les fontaines publiques sont parfois démantelées ou déplacées lorsque « les gens au pouvoir pensent qu’elles sont laides ou offensantes », a déclaré Michele Bogart, professeure émérite d’histoire de l’art à l’Université Stony Brook et experte en art public.
En août, un avocat d’Armand Vaillancourt a envoyé à San Francisco une mise en demeure1, avertissant que tout effort pour détruire la fontaine violerait les « droits moraux » de Vaillancourt. Mais une fois qu’une œuvre d’art fait partie d’une collection municipale, a affirmé Bogart, l’artiste n’a que peu ou pas de contrôle sur l’œuvre.




















