Résumé
Quand les bibliothèques deviennent des bijoux d’architecture
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
De style beaux-arts, le bâtiment qui accueille les Archives nationales de Montréal est l’un des plus beaux de la métropole.
Plusieurs bibliothèques québécoises attirent les visiteurs autant par la profondeur de leur contenu que par la beauté de leur contenant. C’est le cas de la bibliothèque Monique-Corriveau, installée dans une ancienne église de Sainte-Foy, des Archives nationales de Montréal, situées dans une école centenaire, et de la bibliothèque L’Octogone de LaSalle, qui rivalise d’audace architecturale.
Mis à jour hier à 12h00
Samuel Larochelle Collaboration spéciale
Boucler la boucle
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
Les Archives nationales de Montréal
Les étudiants qui vont dans la salle de consultation des Archives nationales de Montréal révisent, peut-être sans le savoir, entre les murs de l’ancienne École des hautes études commerciales, la première école de commerce francophone et laïque au Canada. Et l’un des plus beaux bâtiments de la métropole.
Construit rue Viger entre 1908 et 1911, à une époque où le quartier s’embourgeoisait, l’édifice est de style beaux-arts, comme ceux de l’ancienne gare Viger et de l’Union Française. « À l’époque, les architectes Daoust et Gauthier se sont inspirés du Petit palais de Paris », souligne l’archiviste Marie-Pierre Nault.
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
On retrouve notamment la signature de l’architecte Dan S. Hanganu avec divers éléments métalliques.
Six décennies après sa création, l’école a cédé sa place au collège Dawson, qui a occupé les lieux de 1970 à 1988. Puis, le théâtre de l’Opsis y a présenté des pièces entre 1993 et 1997.
Les travaux de transformation ont alors débuté pour créer les Archives nationales de Montréal. Un projet confié aux firmes associées d’architectes Dan S. Hanganu, Provencher et Roy.
M. Hanganu a signé les plans du musée Pointe-à-Callière. On retrouve sa signature avec les éléments métalliques comme les passerelles et le grand mur de grillage, qui laissent apparentes la pierre et la brique pour les valoriser.
Marie-Pierre Nault, archiviste aux Archives nationales de Montréal
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
La salle de consultation
Le mandat était de taille. Jusqu’en 2000, les Archives nationales étaient au sous-sol du palais de justice, un lieu mal adapté à la conservation des documents patrimoniaux. « On avait besoin d’espace pour les acquisitions, le traitement, la conservation et la diffusion : soit nos quatre mandats principaux », explique-t-elle.
Après avoir été un musée, un théâtre et une bibliothèque, la salle de consultation est devenue un lieu de mémoire fréquenté par une faune hétéroclite.
« Avant la pandémie, on voyait surtout des généalogistes amateurs, mais elle est de plus en plus fréquentée par des étudiants qui ont découvert le trésor grâce aux médias sociaux, des avocats qui travaillent en jurisprudence, des architectes qui consultent les fonds d’archives de plans et des chercheurs sur l’histoire du Québec. »
Tout ce beau monde peut admirer les galeries au plancher de verre dépoli, les rampes en fer forgé, les colonnes de fonte, l’escalier en colimaçon et les vitraux d’origine. Sans oublier les statues dans l’atrium. « Elles étaient devant la Banque Royale du Canada, avant d’être retirées en raison du gel-dégel et de la pollution. Comme elles sont de style beaux-arts et qu’elles représentent des matières qui furent enseignées ici, on les a acceptées sous forme de don. Le plancher a dû être renforcé juste pour ça. »
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
Les statues dans l’atrium ornaient auparavant la façade de la Banque Royale du Canada.
Qui dit rénovation d’un édifice patrimonial dit évidemment travaux de mise à niveau : murs pare-feu, accessibilité universelle, contrôle de la température et de l’humidité pour assurer une conservation optimale des documents. « L’auditorium a été démoli et reconstruit au complet. On a ajouté des voûtes et 25 magasins d’archives. Comme l’école avait été jumelée à une maison privée, il a fallu unifier tout ça. »
Consultez la page des Archives nationales de Montréal
Temple du savoir
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
La bibliothèque Monique-Corriveau, à Sainte-Foy, est installée dans une ancienne église.
À partir de 1964, les catholiques pratiquants de Sainte-Foy ont confessé leurs péchés à l’église Saint-Denys-du-Plateau. Cinquante ans plus tard, le lieu de culte est devenu l’un des plus beaux temples du savoir de la province : la bibliothèque Monique-Corriveau.
Avant de déménager ses livres dans l’ancienne église, l’espace littéraire ne payait pas de mine. « La bibliothèque était à l’étroit dans un bunker de béton mal éclairé des années 1970 », se souvient Julie Bélanger, architecte responsable des grands projets de construction pour la Ville de Québec.
La population méritait mieux.
On voulait donner aux gens quelque chose de beau. Lorsqu’on a eu l’occasion d’acheter l’église, qui n’était plus vouée au culte depuis quelques années, on a vu son potentiel architectural incroyable !
Julie Bélanger, architecte responsable des grands projets de construction pour la Ville de Québec
Les instances politiques tenaient à préserver le volume et l’intégrité de l’édifice. Et ce, même si la transformation du bâtiment imposait des mises aux normes comme l’ajout d’issues de secours et d’aires de circulation, qui pouvaient altérer les lieux. « Heureusement, le consortium Dan Hanganu + Côté Leady Cardas architectes, ainsi que les ingénieurs ont fait un travail extraordinaire pour conserver la beauté historique de l’église. »
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
L’ancien dialogue avec le nouveau.
Puisque l’église n’était pas adaptée pour recevoir la charge structurale d’une bibliothèque, qui est l’une des plus imposantes en codes du bâtiment, la majorité des documents a été placée dans l’agrandissement à l’arrière de l’église. La section comprend la salle de lecture, le rayonnage et la salle polyvalente.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Une église, bonifiée !
En entrant par la nef principale, les usagers voient que l’esprit de l’église a été préservé, avant de découvrir de multiples nouveautés. « Tout ce qui a été ajouté est de facture très contemporaine, précise l’architecte. On voulait que les gens comprennent le dialogue entre l’ancien et le nouveau. Avec des escaliers blancs en acier, des garde-corps en verre et certains planchers en mezzanine, on n’envahit pas l’espace avec un nouveau langage architectural. »
L’éclairage émanant des baies vitrées sur les côtés de l’église a été conservé, mais on observe un agrandissement du vitrage avec des portions verticale et horizontale, ainsi que l’ajout des puits de lumière.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Le volume et l’intégrité de l’édifice ont été conservés.
Ces modifications ne semblent pas avoir déstabilisé les habitants du quartier.
Depuis l’ouverture, le commentaire qu’on reçoit le plus est qu’on a été très respectueux du concept d’origine de l’architecte Jean-Marie Roy. Les gens se sont vite approprié les lieux, car ils l’ont reconnu. C’est leur église en version bonifiée.
Julie Bélanger, architecte responsable des grands projets de construction pour la Ville de Québec
Quand elle repense à l’église d’origine chargée de brun et de beige, Julie Bélanger est heureuse de l’avoir transformée en bibliothèque. « Quand on entre, l’atmosphère est feutrée, lumineuse et accueillante. Je suis fière d’avoir contribué à la mettre en valeur de façon spectaculaire. »
Consultez la page de la bibliothèque Monique-Corriveau
Polygone à huit sommets
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
La bibliothèque L’Octogone a désormais une nouvelle allure.
Réimaginer les plans d’une bibliothèque dans un ancien bâtiment en forme d’octogone est un défi particulièrement improbable. C’est pourtant ce que l’architecte Anne Carrier et son équipe ont réussi en créant, avec la nouvelle bibliothèque L’Octogone de LaSalle, un objet architectural aussi inusité que chouchouté par la population.
La firme a remporté un concours d’architecture auquel étaient conviés quatre finalistes, qui avaient tous le mandat de dessiner un bâtiment audacieux, ouvert et accessible.
Soit tout le contraire de la bibliothèque d’origine, selon Valérie Medzalabanleth, cheffe de la division bibliothèque à la Direction de la culture de l’arrondissement de LaSalle.
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
L’escalier, pièce maîtresse des lieux
C’était un espace brun, sombre et bourré de tous les côtés avec des livres et des tables. Il n’y avait pas de place pour respirer. On rêvait d’une bibliothèque moderne et plus grande pour nos citoyens, tout en conservant l’octogone.
Valérie Medzalabanleth, cheffe de la division bibliothèque à la Direction de la culture de l’arrondissement de LaSalle
Stimulés par le défi, les membres de l’équipe Carrier ont analysé l’histoire des lieux pour déployer leur créativité.
Première inspiration : le moulin Fleming. « On a choisi de créer trois lanternes : une ouverte vers la zone urbaine, une vers le parc Félix-Leclerc et une près de la rue et des gens, explique Anne Carrier. Ces lanternes créent un mouvement qui s’articule autour d’un axe central qui est le cœur du bâtiment. »
Deuxième inspiration : le canal de Lachine et ses écluses. Les architectes ont cherché comment passer symboliquement du côté urbain au côté bucolique, avant de se « rendre » au canal en étirant le cou. « On a eu l’idée que le bâtiment devienne comme un pont : on peut désormais traverser la bibliothèque à l’intérieur ou en passant au-dessus », explique-t-elle.
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
Agrandir sur le dessus pour réinventer l’espace
Tout cela sans effacer le fameux octogone, une forme difficile à agrandir et à transformer aux yeux de l’architecte, qui cherchait à ouvrir cette bibliothèque jadis repliée sur elle-même. « La solution nous a sauté aux yeux : il fallait agrandir sur le dessus de l’octogone ! »
Les ingénieurs en structure se sont creusé les méninges, mais l’idée a fonctionné.
Quand on la regarde aujourd’hui, on constate à quel point c’est organique. On n’aurait jamais pu prendre ce projet-là et le placer ailleurs.
Anne Carrier, architecte du projet
Depuis un an, on retrouve la section jeunesse dans l’espace en forme d’octogone. La bibliothèque mise aussi sur différentes salles d’activités, un café, de magnifiques terrasses, une salle d’animation d’ateliers de bédéistes et la collection signature de bandes dessinées au cœur de l’espace.
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
La section jeunesse
Sans oublier l’escalier hélicoïdal et une œuvre d’art public signée Karilee Fuglem. « Tout le monde savait que l’escalier serait intéressant en analysant les plans, mais on a été impressionné en le voyant, s’exclame Mme Medzalabanleth. C’est si beau que les gens nous disent que ça les pousse à monter l’escalier. »
Les usagers affectionnent la grande luminosité des lieux où ils peuvent socialiser et se détendre toute la journée. « C’est devenu un repère urbain, ajoute Mme Carrier. Aujourd’hui, les bibliothèques sont loin d’être des entrepôts à livres. Ce sont des espaces très communautaires. C’est important de démocratiser ces lieux pour que tout le monde s’y sente bienvenu. »
Consultez la page de la bibliothèque L’Octogone